Égyptologie
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Les géants ressuscités de Louxor :Comment la science a redonné vie aux colosses d’Amenhotep III

Égyptologie

Après près de vingt ans de recherches, d’analyses et de prouesses techniques, deux statues monumentales du pharaon Amenhotep III se dressent à nouveau à leur emplacement d’origine, au cœur de son temple funéraire sur la rive ouest du Nil. 

Sculptés dans l’albâtre et culminant à plus de 14 mètres de hauteur, ces colosses viennent d’être restaurés, réassemblés et relevés selon les standards scientifiques internationaux les plus exigeants.

Un événement majeur pour l’archéologie égyptienne, mais aussi pour la science de la conservation du patrimoine.

Un chantier scientifique hors normes

L’inauguration, à laquelle a assisté le ministre égyptien du Tourisme et des Antiquités, Sherif Fathy, marque l’aboutissement d’un projet lancé en 1998, fruit d’une coopération internationale réunissant le Conseil suprême des antiquités, l’Institut archéologique allemand du Caire, la World Monuments Fund et plusieurs universités européennes.

Car il ne s’agissait pas simplement de « réparer » des statues brisées. Les fragments, retrouvés au fil des fouilles, étaient ensevelis sous la boue du Nil, saturés de sels minéraux et fragilisés par des décennies d’immersion dans des eaux souterraines instables.

« Nous avons dû comprendre la matière avant d’intervenir sur la forme », résume l’équipe scientifique.

Scanner le passé pour reconstruire l’avenir

La restauration s’est appuyée sur un arsenal de technologies de pointe :

analyses pétrographiques de l’albâtre,

études chimiques des sels responsables de la désagrégation,

modélisation 3D complète des statues dès 2006,

et une documentation millimétrée de chaque fragment.


Les matériaux de consolidation ont été choisis pour leur compatibilité chimique avec la pierre antique, garantissant la stabilité des statues sur le long terme, malgré les contraintes climatiques extrêmes du site.

Selon Mohamed Ismaïl Khaled, secrétaire général du Conseil suprême des antiquités, toutes les étapes ont respecté les normes internationales de conservation, privilégiant la réversibilité des interventions et la préservation maximale de l’authenticité.


L’ennemi invisible : l’eau souterraine

L’un des défis majeurs fut la variation constante du niveau des eaux souterraines, qui menaçait la stabilité du site. La solution : un vaste système de drainage permettant d’abaisser le niveau du sol de près de trois mètres, libérant les vestiges du sel et de l’humidité.

Sans cette opération, aucun relevage des statues n’aurait été possible.

Amenhotep III, dans toute sa majesté

Les deux statues représentent le pharaon assis sur son trône, les mains posées sur les cuisses, coiffé du némès et du double pschent, symbole de l’unité des Deux Terres. Autour de lui apparaissent des figures féminines : la grande épouse royale Tiyi, la princesse Isis, et la reine mère Moutemouia.

Les flancs du trône portent encore le motif du Sema-Taouy, allégorie de l’unification de la Haute et de la Basse-Égypte, et, fait rare, des traces de polychromie originale sont toujours visibles.

Former les scientifiques de demain

Au-delà des statues, le projet a aussi servi de laboratoire de formation. Plus de 30 restaurateurs égyptiens et une dizaine d’architectes ont été formés aux méthodes modernes de conservation, dans une logique de transmission des savoirs.

Un modèle de coopération scientifique durable, salué par l’Institut archéologique allemand comme « l’un des projets archéologiques conjoints les plus ambitieux au monde ».

Un temple ressuscité par la science

Le temple funéraire d’Amenhotep III, surnommé le « Temple des Millions d’Années », fut le plus vaste de son temps. Dévasté par un séisme vers 1200 av. J.-C., pillé et englouti par les crues successives du Nil, il n’en restait que les célèbres Colosses de Memnon encore debout.

Aujourd’hui, grâce à la science, aux technologies numériques et à une coopération internationale de long terme, le temple sort peu à peu de l’oubli. Plus de 280 statues de la déesse Sekhmet, deux sphinx et de nombreux éléments architecturaux ont déjà été sauvés.

Quand l’archéologie devient science du vivant

La renaissance des statues d’Amenhotep III n’est pas seulement une victoire patrimoniale. Elle illustre une évolution profonde de l’archéologie moderne :
comprendre, mesurer, modéliser, préserver, plutôt que reconstruire à tout prix.

À Louxor, les géants de pierre ne parlent plus seulement du passé.
Ils racontent aussi ce que la science peut faire pour l’avenir de la mémoire humaine.